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Une amitié


        C’est en 1895, dans le salon de Madeleine Lemaire, grâce à Robert de Montesquiou,
        que Marcel  Proust  rencontra  pour la  première fois Paul-César Helleu,  selon le
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        témoignage  de  sa  fille  Paulette  Howard-Johnston.  Des  échanges épistolaires
        s’ensuivirent  et  se  poursuivirent  jusqu’en  1922,  non  seulement  avec  le  peintre
        mais également avec divers membres de sa famille et notamment Alice, née Louis-
        Guérin  qu’il épousa en 1886.  Il la dessina souvent dans leur salon blanc de la rue
        des Belles Feuilles à Paris, et sur le pont d’un  yacht, ancré à Deauville, où Proust
        leur rendit visite  alors qu’il séjournait au Grand Hôtel de Cabourg.
        Fin  1917,  Proust  envoie  à  Madame  Helleu  une  lettre  lui  demandant,  pour  une
        amie, « à quel prix Monsieur Helleu consentirait à faire une pointe sèche d’après
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        sa fille. » (XVII, 560) . La grande réputation que le peintre avait acquise comme
        « pointecétiste » des femmes de l’aristocratie — la comtesse Greffulhe, la duchesse
        de Marlborough, la princesse de Grèce, etc. — à des tarifs extrêmement élevés,
        explique cette requête en faveur d’une personne « obligée de se restreindre un peu
        à cause de la guerre ».
        Les relations entre Marcel Proust et les Helleu furent à la fois sociales et amicales
        car ils fréquentèrent les mêmes cercles ainsi qu’en attestent leur correspondance
        et les chroniques mondaines dans les journaux de l’époque. Proust leur envoya une
        émouvante lettre de condoléance suite à la mort accidentelle de leur fille Alice en
        juin 1898. (« Vous êtes si aimé que votre malheur est un malheur public », écrira-
        t-il aussitôt). Dix ans plus tard, Helleu, surpris par une arrivée impromptue de
        Proust, en tenue négligée, voituré par Odilon Albaret, dans le parc de Versailles
        où il peignait avec sa fille Paulette, lui fit parvenir en cadeau le tableau achevé.
        Proust refusa en ces termes : « Je serais malheureux avec cette belle chose. Mais
        si vous me permettiez de payer la rançon de sa captivité, jamais esclave d’une
        beauté merveilleuse n’aura reçu plus de respects et d’adorations. Il y a parfois
        une suprême délicatesse à condescendre aux scrupules d’autrui. » (VIII, 52) En
        réponse, Helleu lui dédicaça ses Trois femmes dans un parc de Versailles « A mon
        ami Marcel Proust » avant de le renvoyer à l’écrivain qui ne put alors que l’accepter
        et le montra par la suite avec enthousiasme à ses visiteurs  Ce tableau l’accompagna
        pour le reste de sa vie. On peut le voir aujourd’hui au musée de Brest.  3
        « Quand je serai mort, qu’on appelle Helleu pour faire mon portrait » avait souhaité
        Marcel Proust, selon les souvenirs de Céleste Albaret. Ce fut fait au lendemain du 18
        novembre 1922, par le peintre qui avait eu pour modèles, au début de sa carrière,
        la comtesse Greffulhe et Laure Hayman.
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        1       Voir  « Bonjour, Monsieur Elstir » dans La Gazette des Beaux-Arts, avril 1967
        et « Helleu et ses modèles » dans la Nouvelle Revue des Deux-Mondes, décembre 1974.
        2       Correspondance de Marcel Proust, ed. Philippe Kolb, Plon, Paris, 1970-1993.
        Nous indiquons le numéro du volume et la page.
        3       Voir Paul-César Helleu, ed. Frédérique de Watrigant,Paris, Somogy, 2014, p.44.
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